Lettre ouverte à un prêtre découragé
Auteur : Jacques H.
Frère,

Ce soir, tu t'affales dans un fauteuil devant la télé, tu te sens vide, tu n'as même plus envie de penser.
Tu es au bord des larmes ou de la nausée, tu aurais envie de disparaître en t'endormant. Tant d'années harassantes passées au service de ta paroisse. Tes yeux tombent sur ton agenda dont chaque page est entièrement noircie de tes notes prises à la hâte : baptême de X, préparation au mariage de Y, réunion de l'équipe paroissiale, fabrique d'église, pouvoir organisateur de l'école, réunion de secteur, aller voir la veuve de Charles, Mimi à l'hôpital, préparer homélie du week-end, souper annuel de la chorale, faire réparer le micro de l'église, aller voir M et N au bord du divorce, écrire article pour Noël .
Des joies, certes, mais tant d'énergie, de fatigue et de peine et tu en arrives à te demander pour quel résultat ?
Tu vois l'assemblée du dimanche fondre comme neige au soleil. Les jeunes ont déserté ton église depuis belle lurette. Tu vois des bébés qui ne sont plus baptisés, des couples qui se séparent pour un oui pour un non, des enfants qui ne viennent plus au caté. parce que plus attirés par le foot ou les jeux vidéo, des fiancés qui te demandent le sacrement de mariage on se demande pourquoi, les messes de semaine où tu te retrouves pratiquement seul et le confessionnal qui n'est plus fréquenté que par Léon le samedi saint.
Comme je voudrais retrouver en toi celui que j'ai connu à ses débuts et qui nous entraînait par sa foi communicative.

Que s'est-il passé pour que nous en arrivions là ?
Difficile à dire, mais je voudrais tout de même te livrer mes réflexions à ce sujet, au risque de te paraître orgueilleux car je n'ai aucune compétence dans ce domaine, tu le sais.

Notre Eglise, du moins dans nos régions, me semble être devenue aujourd'hui une sorte de grand parti politique, soucieux de justice sociale, de bien-être général, et animé par quelques valeurs telles que les droits de l'homme, la non-violence, l'écologie.
Une Eglise qui, en voulant tellement se rapprocher du monde, s'est éloignée de sa source au point de s'affadir. De spirituelle, elle est devenue sociologique.
Jésus, je ne t'apprends rien, nous a résumé son message en deux commandements :
le premier .''Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cour, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force.''.
le second : ''Tu aimeras ton prochain comme toi-même'' (Marc 12, 30-31).

Pourquoi un premier et un second alors que Jésus nous dit par ailleurs que le second est semblable au premier ?
Je pense que c'est parce que le second découle, est une conséquence, un fruit du premier.
Le Malin, qui mérite bien son nom, ne nous a-t-il pas conduit à intervertir ces deux commandements en laissant s'estomper progressivement le premier ?
Cela ne nous a-t-il pas amené, dans notre orgueil, à vouloir construire l'Eglise en nous passant de Jésus ?
Quelques exemples ?
Souviens-toi de toutes ces réunions de chrétiens, pourtant engagés et convaincus, qui débutaient sans un vrai moment de prière. De ces articles de théologiens ou d'auteurs en vue qui prenaient si aisément la place de l'Evangile dans nos réflexions. De ces multiples plans pastoraux qui se succédaient sans même prendre la peine de demander :''Mais Toi, Seigneur, quel est ton plan pour notre communauté ? Que veux-tu que nous fassions ? Quelle est ta volonté ?''
Ce n'était pas nécessaire, dans la pile de papiers que l'on recevait, tout était prévu.
''Il ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur.'' clamait-on de tous côtés ; pourtant, combien répondaient à ton invitation à former un groupe de prière ?
Or, l'avertissement de Jésus est on ne peut plus clair : ''sans moi, vous ne pouvez rien faire''.
C'est Jésus qui va ''attirer à lui tous les hommes'' comme il l'a annoncé. Pas nous !
Le Sauveur du monde, c'est lui. Pas nous !
Ne crois-tu pas que nous avons essayé de nous débrouiller sans lui ?
Et nous nous sommes donc retrouvés avec nos cinq pains et nos deux poissons pour nourrir toute cette foule, parce que nous avions oublié une chose : c'était de les lui apporter d'abord.
Je ne prétends pas connaître Jésus, mais j'ai dans l'idée que chaque fois que nous voulons agir par nous-mêmes, lui se retire sur la pointe des pieds. Idem pour Marie.
Je te le dis tout net : je crois vraiment qu'aucun plan pastoral n'est aussi ''efficace'' que l'eucharistie vécue intensément.
Que des heures d'adoration devant le Saint-Sacrement ramèneront bien plus de gens dans notre église que toutes nos tentatives de battre le rappel de ceux qui ont déserté nos célébrations.
Que le rétablissement du sacrement de réconciliation est à même d'augmenter l'ouverture et la solidarité de notre communauté bien plus que toutes les campagnes et les exhortations au partage et à la justice.

Je pense que nous devons ''re-spiritualiser'' notre Eglise.
Redonner à Jésus et à sa mère la place qui leur revient pour que eux puissent agir . à travers nous.
''J'avais faim . j'avais soif''.
La famine spirituelle est devenue criante dans ce monde déboussolé.
C'est là, je pense, que les gens nous attendent
Et pour nous conduire à cette conversion, Frère, nous avons besoin de toi.



Thèmes : Action, vocation, témoignage Méditations
Mots clés : désespoir

notice importante concernant les droits d'auteur