Seigneur, mon Dieu, à votre exemple, si seulement je savais tout! Oh! il faudrait, dès lors, que vous fassiez que ce soit absolument tout. Oui, tout, comme juge. Car, à ce titre, il y a des jours où je devrais tout savoir...
Hélas, dans l'exercice de cette profession insigne qu'un soir vous m'aviez suggérée, que j'ai embrassée avec une fougue confiante et dont je me sens de plus en plus indigne à mesure que les ans s'estompent, je ne puis pas, et ne pourrai très assurément jamais, tout connaître sur le compte de mes semblables. Quand je dois porter un verdict solennel sur leurs actions ou leurs témoignages, je ne puis malheureusement manifester qu'une obscurité que je souhaiterais moins désinvolte. Au tréfonds de mon être, je ne puis me considérer autrement que comme le plus affligé des vivants, le plus indiscret des comédiens parmi la cohorte des faux-braves. En dépit de la philanthropie dont je désirerais rayonner, je ne puis que démontrer une lacune, un néant teinté d'impertinence, tout à l'opposé de votre divine omniscience. Je ne puis rien, particulièrement à la minute où seuls quelques solides attributs supra humains seraient le plus nécessaires pour moi, c'est-à-dire quand il arrive qu'autrui s'avère indubitablement ou coupable ou non-coupable.
Et puis, Seigneur, décidément, je ne sais plus; je divague. Je m'aperçois que je comprends de moins en moins et que je ne comprends pas de plus en plus! Les raisons? Oh! Il ne vaut peut-être pas la peine de les étaler, tant éloquent apparaît le dilemme. Devant toutes mes démarches boiteuses effectuées en vue de parvenir à la connaissance, recherche qui préoccupe mon esprit sans lui permettre le moindre repos, n'y-a-t-il pas votre avertissement insondable: ''Tu ne jugeras point!'' Que ne sont pas ainsi mon désir et ma douleur! Vous la soupesez sans doute, Seigneur, cette angoisse qui est mienne? Par indulgence, je vous prie instamment de la constater puisqu'elle m'est implacablement désarmante...
Conséquemment, ma situation de magistrat mandaté m'effraie-t-elle un peu! Des fois, il me semble qu'on m'ait confié une occupation frôlant le minable, le ridicule, j'irais jusqu'à dire le risible. Et alors, mon rôle d'''acteur'' principal, par dérision inversement ignare, je le présume piètre au possible. Sérieusement, je n'ai pas à me vanter de mes ''rares'' études, de mon savoir excessivement obtus ni de mon aptitude, toute de façade, à démêler les faits, les cas présentés devant mon humble personne. Enfin, sans ambages ni vaine grandiloquence, laissez-moi vous confier, Seigneur, que le psychisme individuel des profondeurs, lequel dirige en despote sentiments, pensées et actions, m'apparaît beaucoup trop ambivalent, beaucoup trop de transition, en un mot beaucoup trop mystérieux et difficile à décrypter, pour que j'aie ni les moyens intellectuels ni le mérite d'y déceler, subitement et parfaitement, ou quelque blessure évidente à la vérité, ou quelque subtile machination que ce soit!
C'est là tout un problème; c'est mon problème! Non pas que je veuille insinuer, en utilisant ces mots, que je me crois qualifié pour corriger cette infortune par le truchement de mes capacités misérables et peu lucides! Vous le savez, Seigneur...
Me fiant à votre perspicacité, j'ose vous témoigner ma totale déférence et vous demander une fois de plus, simplement et avec un espoir sans faille, ainsi qu'un fils à son père, de m'apprendre la sincérité et le courage, devant lesquels fuira ma panique naissante. En effet, nanti de ces qualités et à cet instant-là, quand vous daignerez siéger près de moi à l'occasion de mes décisions et montrer par ma bouche inefficiente une bribe seulement de votre sagesse infinie, à cet instant, j'aurai rejoint des aspirations, j'aurai atteint un dessein que votre bonté elle-même m'inspire: celui de permettre, dès sur cette terre, à l'authentique, au vrai de triompher. De triompher de l'erreur fatale qui guette tous et chacun des habitants du globe, à fortiori les juges. Moi, en tout cas.
Seigneur, je vous prie de m'aider à penser plus et mieux. Faites que je me rende compte que je suis plus transitoire encore dans ma fonction professionnelle que mortel dans mon existence. Ah! voilà bien pourquoi je devrais m'humilier très profondément devant vous, vous louer et vous remercier pour votre généreuse aide passée. Aussi, veuillez me pardonner si je ne l'ai pas fait plus souvent.
Christ-Jésus, l'audace de votre serviteur pourra vous paraître indéniablement incorrigible. Voyez! Il osera s'aventurer encore près de votre puits afin d'y retirer, sans minutie, mille et un bienfaits. Si donc ce n'était pas trop exiger du trésor de vos grâces, j'espère à nouveau bénéficier de votre appui précieux dans l'avenir. Afin de m'aider moi-même, je promets de fournir l'effort d'agir comme si c'était mon propre coeur qui, mis à la place de celui de chaque prévenu, avait à souffrir d'un désarroi total aussi bien devant des irrégularités légales virtuelles que face à tous les parjures possibles. Bien plus, je veux remettre mes humbles sentences entre vos mains impartiales et consolantes.
Ces mains, les vôtres, percées par l'infamie de mes congénères humains, qu'elles appuient et réconfortent les âmes droites incomprises. Au besoin, par l'intermédiaire de mes prérogatives juridiques, qu'elles châtient, quoique fort à regret, l'infortuné qui a rejeté, dans sa déposition, l'exactitude sous toutes ses formes ou la justice, votre justice... que vous avez promulguée lors de votre bref passage ici-bas.
Juge souverain, ami des malheureux, par votre Esprit-Saint, veuillez me pénétrer ne serait-ce que d'une étincelle de votre sagacité prudente. Je vous le demande par les mérites du Christ, le Seigneur.
Un magistrat
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