Prière d'un magistrat
Auteur : Romuald Lepalis
Seigneur, mon Dieu, à votre exemple,
si seulement je savais tout!
Oh! il faudrait, dès lors, que vous fassiez
que ce soit absolument tout.
Oui, tout, comme juge.
Car, à ce titre, il y a des jours
où je devrais tout savoir...

Hélas, dans l'exercice de cette profession
insigne qu'un soir vous m'aviez suggérée,
que j'ai embrassée avec une fougue confiante
et dont je me sens de plus en plus indigne
à mesure que les ans s'estompent,
je ne puis pas, et ne pourrai très assurément jamais,
tout connaître sur le compte de mes semblables.
Quand je dois porter un verdict solennel
sur leurs actions ou leurs témoignages,
je ne puis malheureusement manifester
qu'une obscurité que je souhaiterais moins désinvolte.
Au tréfonds de mon être,
je ne puis me considérer autrement
que comme le plus affligé des vivants,
le plus indiscret des comédiens
parmi la cohorte des faux-braves.
En dépit de la philanthropie dont je désirerais rayonner,
je ne puis que démontrer une lacune,
un néant teinté d'impertinence,
tout à l'opposé de votre divine omniscience.
Je ne puis rien, particulièrement à la minute
où seuls quelques solides attributs supra humains
seraient le plus nécessaires pour moi,
c'est-à-dire quand il arrive qu'autrui s'avère indubitablement
ou coupable ou non-coupable.

Et puis, Seigneur, décidément, je ne sais plus; je divague.
Je m'aperçois que je comprends de moins en moins
et que je ne comprends pas de plus en plus!
Les raisons?
Oh! Il ne vaut peut-être pas la peine de les étaler,
tant éloquent apparaît le dilemme.
Devant toutes mes démarches boiteuses effectuées
en vue de parvenir à la connaissance,
recherche qui préoccupe mon esprit
sans lui permettre le moindre repos,
n'y-a-t-il pas votre avertissement insondable:
''Tu ne jugeras point!''
Que ne sont pas ainsi mon désir et ma douleur!
Vous la soupesez sans doute, Seigneur,
cette angoisse qui est mienne?
Par indulgence, je vous prie instamment de la constater puisqu'elle m'est implacablement désarmante...

Conséquemment, ma situation de magistrat mandaté
m'effraie-t-elle un peu!
Des fois, il me semble qu'on m'ait confié une occupation
frôlant le minable, le ridicule, j'irais jusqu'à dire le risible.
Et alors, mon rôle d'''acteur'' principal,
par dérision inversement ignare,
je le présume piètre au possible.
Sérieusement, je n'ai pas à me vanter de mes ''rares'' études,
de mon savoir excessivement obtus ni de mon aptitude,
toute de façade, à démêler les faits, les cas présentés
devant mon humble personne.
Enfin, sans ambages ni vaine grandiloquence,
laissez-moi vous confier, Seigneur,
que le psychisme individuel des profondeurs,
lequel dirige en despote sentiments, pensées et actions, m'apparaît beaucoup trop ambivalent,
beaucoup trop de transition,
en un mot beaucoup trop mystérieux et difficile à décrypter,
pour que j'aie ni les moyens intellectuels
ni le mérite d'y déceler, subitement et parfaitement,
ou quelque blessure évidente à la vérité,
ou quelque subtile machination que ce soit!

C'est là tout un problème; c'est mon problème!
Non pas que je veuille insinuer, en utilisant ces mots,
que je me crois qualifié pour corriger cette infortune
par le truchement de mes capacités misérables
et peu lucides! Vous le savez, Seigneur...

Me fiant à votre perspicacité,
j'ose vous témoigner ma totale déférence
et vous demander une fois de plus,
simplement et avec un espoir sans faille,
ainsi qu'un fils à son père,
de m'apprendre la sincérité et le courage,
devant lesquels fuira ma panique naissante.
En effet, nanti de ces qualités et à cet instant-là,
quand vous daignerez siéger près de moi
à l'occasion de mes décisions
et montrer par ma bouche inefficiente
une bribe seulement de votre sagesse infinie,
à cet instant, j'aurai rejoint des aspirations,
j'aurai atteint un dessein que votre bonté elle-même m'inspire: celui de permettre, dès sur cette terre,
à l'authentique, au vrai de triompher.
De triompher de l'erreur fatale qui guette tous
et chacun des habitants du globe, à fortiori les juges.
Moi, en tout cas.

Seigneur, je vous prie de m'aider à penser plus et mieux.
Faites que je me rende compte
que je suis plus transitoire encore
dans ma fonction professionnelle
que mortel dans mon existence.
Ah! voilà bien pourquoi
je devrais m'humilier très profondément devant vous,
vous louer et vous remercier
pour votre généreuse aide passée.
Aussi, veuillez me pardonner
si je ne l'ai pas fait plus souvent.

Christ-Jésus, l'audace de votre serviteur
pourra vous paraître indéniablement incorrigible.
Voyez! Il osera s'aventurer encore près de votre puits
afin d'y retirer, sans minutie, mille et un bienfaits.
Si donc ce n'était pas trop exiger du trésor de vos grâces, j'espère à nouveau bénéficier de votre appui précieux
dans l'avenir.
Afin de m'aider moi-même,
je promets de fournir l'effort d'agir
comme si c'était mon propre coeur qui,
mis à la place de celui de chaque prévenu,
avait à souffrir d'un désarroi total
aussi bien devant des irrégularités légales virtuelles
que face à tous les parjures possibles.
Bien plus, je veux remettre mes humbles sentences
entre vos mains impartiales et consolantes.

Ces mains, les vôtres,
percées par l'infamie de mes congénères humains,
qu'elles appuient et réconfortent les âmes droites incomprises. Au besoin, par l'intermédiaire de mes prérogatives juridiques, qu'elles châtient, quoique fort à regret, l'infortuné qui a rejeté, dans sa déposition, l'exactitude
sous toutes ses formes ou la justice, votre justice...
que vous avez promulguée lors de votre bref passage ici-bas.

Juge souverain, ami des malheureux,
par votre Esprit-Saint, veuillez me pénétrer
ne serait-ce que d'une étincelle de votre sagacité prudente.
Je vous le demande par les mérites du Christ, le Seigneur.

Un magistrat

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